Le protocole est-il contraire à la Constitution ?

Après une étude approfondie du document contresigné par le MEDEF et la CFDT, Nathalie Charbaut lève un lièvre de taille en jetant le soupçon sur sa recevabilité juridique et son éthique néfaste, ce qui le rendrait caduc aux yeux de la loi.

Elle est costumière et maquilleuse. En dehors de ça, Nathalie Charbaut nourrit depuis dix ans une véritable passion pour l'analyse et le décryptage des textes officiels régissant les professions du spectacle. C'est ainsi qu'elle a été amenée à se colleter à l'épineux protocole d'accord signé le 26 juin dernier par le MEDEF et la CFDT notamment, dans le cadre des " négociations " sur le régime des intermittents du spectacle. Pour elle, après mûre réflexion et étude approfondie du document, il apparaît que, décidément, " quelque chose cloche ". Forte de son expérience concrète, elle a mis à jour progressivement les incohérences et l'injustice flagrante de ce texte administratif imbuvable, hermétique, fruit des cerveaux tordus de technocrates inaptes à l'expression la plus simple et qui, finalement, n'a d'autre but que de supprimer un tiers de la profession en noyant le poisson tout en entretenant la confusion dans les esprits.

Nathalie Charbaut, jeune femme à la tête bien faite et bien pleine, après maintes lectures et relectures dudit protocole, peut affirmer qu'il recèle des incohérences telles qu'elles entraîneraient, à court terme, des dysfonctionnements irréversibles dans un système jusqu'ici basé, peu ou prou, sur la solidarité. Pour elle, ce protocole est " fondamentalement inacceptable ; la seule solution serait de le supprimer, purement et simplement ". À l'appui de ses dires, elle nous propose deux exemples révélateurs.

Prenons le cas d'un jeune technicien lumière qui démarre dans le métier. Il est payé cent euros par jour et travaille soixante-quatre jours, soit cinq cent douze heures, sur dix mois, ce qui lui ouvre le droit, à deux cent quarante-trois jours d'indemnités. Telle est sa situation au 31 décembre, dernier jour de contrat. Il se rend aux ASSEDIC le 1er janvier, ayant bel et bien effectué les cinq cent sept heures requises et ouvre des droits dans l'annexe VIII, à compter du 8 janvier (compte tenu des sept jours de différé). Entre-temps, il s'est professionnalisé jusqu'à être employé en qualité de créateur lumière. Il est payé deux cents euros par jour. Chaque mois, on va calculer le décalage (nombre de jours non indemnisés dans le mois). Le mois où il aurait travaillé dix jours, il y aura un décalage de dix-huit jours tandis que dans l'ancien système il n'aurait été que de onze jours. Le nouveau mode de calcul reporte d'autant le deux cent quarante-troisième jour d'indemnité.

Au 5 février, notre créateur lumière aura donc ses deux cent quarante-trois jours d'indemnité, et aura travaillé quatre-vingt-onze jours, soit sept cent vingt-huit heures au cours de cette période. Les deux cent quarante-trois jours d'indemnité étant épuisés, les ASSEDIC vont rechercher, sur les dix derniers mois, soit de début avril à début février, s'il a effectué les cinq cent sept heures minimum, en vue de sa réadmission. Suivant la répartition des jours travaillés du 1er janvier de l'année précédente au 5 février, il sera crédité, ou pas, de cinq cent sept heures dans cette période alors qu'il en a totalisé sept cent vingt-huit à compter de sa première ouverture jusqu'à ce jour. Dans ce cas précis, cette personne aura travaillé quarante-cinq jours, trois cent soixante heures de début janvier à début avril et, de début avril à début février, quarante-six jours, soit trois cent soixante-huit heures. Il n'obtient donc pas les cinq cent sept sur les dix derniers mois et les trois cent soixante heures travaillées en début de la période d'indemnisation (de janvier à avril) ne seront jamais prises en compte. Il est proprement éjecté du système alors qu'il s'est professionnalisé.

Prenons le cas d'un deuxième technicien qui aura travaillé exactement comme le premier, et sur l'année précédente et sur l'année en cours, mais dont les journées de travail auront été réparties différemment. Celui-ci, à jour de travail égal, à nombre d'heures de travail égal, à salaire journalier égal et à salaire journalier de référence égal, par le simple fait que ses journées de travail ne seront pas tout à fait réparties de la même manière à l'intérieur de la même période, aura bien cinq cent sept heures sur les dix derniers mois et sera donc réadmis dans l'annexe VIII. Il pourra ouvrir de nouveaux droits, là où le premier n'a plus droit à rien.

Nathalie Charbaut en vient logiquement à se demander si ce protocole n'a pas été conçu et prémédité dans le seul but de saborder le tissu culturel national en jetant par-dessus bord les uns après les autres ses multiples artisans, ainsi soumis à de nouvelles règles aberrantes, aussi arbitraires qu'un jeu de hasard. Elle va jusqu'à se demander, sous réserve d'une étude juridique approfondie, si cette manière de roulette russe dans les métiers du spectacle ne serait pas en infraction avec la Constitution, dans laquelle l'égalité entre les personnes - y compris dans le travail et l'indemnisation du chômage - est inscrite en toutes lettres. Ainsi, le protocole serait illégal aux yeux de la loi, n'aurait donc plus lieu d'être et ne serait plus bientôt qu'un mauvais souvenir. Si Nathalie Charbaut a raison, la question est de savoir si les auteurs du protocole ont agi sciemment - tablant sur la difficulté de lecture de l'objet -, auquel cas il s'agirait d'une opération d'un cynisme à couper le souffle.

Jean-Pierre Léonardini et Zoé Lin

Article paru dans l'édition du 14 juillet 2003 de l’humanité