http://www.humanite.fr/journal/2003-10-14/2003-10-14-380621 États généraux de la culture, Zénith, La culture en place publique Plus de mille cinq cents personnes se sont retrouvées dimanche sur l'initiative des États généraux de la culture. Chercheurs, enseignants, techniciens, artistes, syndicalistes ont durant plusieurs heures débattu de la place de la culture, réaffirmant sa qualité de bien public. Il a été rendu compte des travaux des quatre ateliers préparatoires à cette rencontre (lire l'Humanité de lundi 13 octobre). Les artistes présents au Zénith ont ponctué la manifestation en mots et en gestes. Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier, et seize autres danseurs donnent sur la scène une chorégraphie toute en jeux d'appui et stratégies d'équilibre. Sur un rythme d'essieux Sursaut rassemble comme dans l'espace clos d'une rame des corps qui s'ajoutent ou se retirent dans une indifférence qui mine le sens de leur cohabitation. Chacun, de son mouvement perpétuellement élastique rejoint, talon-pointe, talon-pointe, des points de rupture qu'un basculement de bassin, d'épaules, une balance de bras ramènent à la gravité pour aussitôt s'y dérober. Les propos du philosophe Jean-Luc Nancy font écho à la danse lorsque, à défaut de résumer les travaux de l'atelier qu'il animait le matin même avec le chercheur en sciences de la communication Armand Mattelart, il s'emploie à en restituer l'esprit. Et choisit au mot " culture " que la profondeur des réflexions qu'il porte ne permet pas selon lui d'aborder " innocemment ", la rime " rupture ". En l'occurrence et en résonance, elle recouvre à la fois l'état " de ce bien commun de la culture aujourd'hui en miettes " et la nécessité d'invention auquel le terme assigne. Pirouette arrière. Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'homme, avait, avant Sursaut, proclamé " le droit fondamental à la culture sans quoi la démocratie est menacée ". Triple saut avant. Les jeunes élèves de l'académie du cirque Fratellini, en rouge diablotin, déroulent un charivari d'enfer applaudi jusqu'aux derniers rangs du paradis. Rebond. Yves Clot, psychologue du travail, animateur lui aussi d'un atelier évoque le " boxeur manchot " de Tennessee Williams pour profiler " l'homme plein de savoir et vide de pensée " que cherchent à former les dirigeants. " On ne peut, poursuit le psychologue, éprouver de la curiosité hors travail quand au travail on assassine la curiosité. " Philosophes, chercheurs, à l'instar de Serge Regourd qui dirige l'institut du droit de la communication à Toulouse, de Patrick Rayou, chercheur en sciences de l'éducation, psychologue, juriste comme Monique Chemillier-Gendreau, qui enseigne le droit international, la sociologue Danièle Linhardt, animateurs et rapporteurs des ateliers où l'on a assidûment " Cultivé la terre ", tous ont contribué à cette entreprise inédite d'hybridation. Les actes artistiques en entre-deux fertilisent l'imaginaire, dressent des passerelles du bout des doigts de la chorégraphe Régine Chopinot à la clarinette de Michel Portal, au clavier de Bernard Lubat pour une création née à Uzeste l'été dernier. L'accordéoniste Marc Perrone emporte dans sa poïélitique ritournelle qui court de Naples à sa cité de La Courneuve. Lubat joue le dissident d'en bas. Les comédiens jouent leurs rôles de passeurs de sens. Multiples, forcément multiples quand Hugues Quester lit Marguerite Duras, Jeanne Balibar Charles Peguy, Dominique Blanc dit le poète Mahmoud Barwish, Julie Brochen un texte du dramaturge Thomas Brash. Daniel Mesguish donne lecture de... Jean-Luc Nancy. On passe de cris en murmures, de proclamations en confidences. Jacques Bonnafé en ch'timi dans le texte universel dans la pensée plaide pour le devoir d'engagement commun aux artistes et au public. Denis Podalydès s'empare du verbe et des mots tordus de Jean Tardieu pour remettre les idées à l'endroit et provoque un éclat de rire général. Olivier Py, metteur en scène et directeur du CDN d'Orléans, poursuit dans la lancée. Emmanuel Demarcy-Motta, directeur de la Comédie de Reims, vient parler de désir. Arnaud Meunier, metteur en scène en résidence à la maison de la culture d'Amiens livre les clés du protocole que combattent les professionnels du spectacle. Le chef opérateur Denis Gravault de la CGT spectacle part de la tour Eiffel pour filer la métaphore des menaces qui pèsent sur ces métiers : beaucoup de monde en bas, moins au milieu et presque plus personne lorsqu'on arrive à l'antenne. Il appelle à la semaine d'action - entamée depuis hier -, organisée sur l'initiative de son syndicat et des coordinations qui elles aussi participent à ce Zénith. " Semaine morte pour une culture vivante " qui sera, dans tout le pays, ponctuée de grèves rassemblements, manifestations et débats publics. Dans les théâtres et dans la rue. Dedans et dehors à l'image de ce grand rassemblement où chercheurs, enseignants, artistes, techniciens et syndicalistes, experts du quotidien croisent ce que Jack Ralite nommera des " réflexions luttes ". Un rassemblement que l'animateur des États généraux qualifie de " prometteur " pour la construction à l'ouvre de la culture en bien public. Pierre à pierre. De chaque atelier sont nés des groupes de travail. Les États généraux proposent des rendez-vous semestriels d'échanges et d'initiatives. Sans tarder, une adresse sera faite en direct aux chaînes et radios du service public pour qu'y soient enfin traités les enjeux de la culture. Les grandes associations et les partis politiques seront, dans cette période d'échéances électorales cruciales, interrogés sur leurs positionnements. Rendez-vous est pris pour le Forum social européen, qui va se tenir dès le 15 novembre prochain à Saint-Denis, Bobigny, Paris et Ivry. C'est applaudi dedans. On continue la discussion dehors. Demain c'est l'atelier. Dominique Widemann Article paru dans l'édition du 14 octobre 2003. |