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Intermittents
Us et abus dans l'audiovisuel
Les sociétés privées et même les chaînes publiques détournent le système.

En interrompant Star Academy, les intermittents s'en sont pris à un symbole de la dérive de leur régime : Endemol, la société de l'animateur Arthur, qui règne en maître absolu sur le divertissement. Plus qu'Endemol dont les dirigeants ne s'expriment jamais sur la question , c'est tout le système des boîtes de production qui est mis en cause. Les témoignages, tous anonymes, sont légion : ici, une standardiste est intermittente du spectacle. Ailleurs, c'est la secrétaire ou le gardien. Là, c'est carrément le patron, lui-même, qui, à chaque nouvelle production, se déclare «intermittent». «C'est simple, soupire un réalisateur, aujourd'hui les Assedic sont les sponsors des boîtes de prod.»

Arrangements. Et les arnaques à l'Assedic sont multiples. Ainsi, un cameraman se voit proposer par écrit de travailler pour une émission diffusée cet été sur Arte : «Le tournage se passerait du 5 mai au 15 juin. Le salaire : 25 000 francs par mois, décomposés de la façon suivante : 20 500 francs brut déclarés sur 10 jours par mois et 4 500 francs net sous forme d'indemnités (non imposables).» C'est l'un des arrangements les plus fréquents : sur un mois de travail, l'intermittent est déclaré 10 jours, et le reste est payé par les Assedic.

(Autre exemple : le paiement d'une partie du salaire en droits d'auteur, qui n'entrent pas dans le calcul des Assedic. Plus vicieux : «On accepte, pour 20 jours de travail, de n'être payé que 1 200 francs par jour, témoigne un chef opérateur. En échange, la boîte de prod ne déclare que 10 jours, mais à 2 400 francs par jour.» Soit une grosse indemnité chômage à la clé. «Il arrive aussi, raconte un cameraman, que les boîtes de production nous fassent miroiter le lieu de tournage pour faire baisser nos salaires.» Inutile de protester : «Si jamais on a le malheur de dire qu'on creuse le trou de l'Unedic avec ce genre de pratiques, c'est la porte.»

Chacun y trouve d'ailleurs à peu près son compte : les intermittents de la télé sont plutôt bien payés et ont moins de difficultés que dans le spectacle vivant à atteindre la barre fatidique des 507 heures. Un producteur tempère : «Certes, les Assedic financent notre flexibilité, mais je suis dépendant des télés qui changent leurs grilles. Quand je n'ai pas de commande, je n'ai pas les moyens de payer des gens à ne rien foutre.»

«Mauvaises habitudes». Selon Bernard Gourinchas, qui mène actuellement, à la demande du ministère de la Culture, une mission sur les abus du recours à l'intermittence, l'audiovisuel ne doit pas devenir «le bouc émissaire» du débat. Mais il reconnaît que «de mauvaises habitudes ont été prises». Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture, envisage quant à lui de décerner un «label de bonne conduite» aux boîtes de prod qui n'abusent pas des intermittents. Et les chaînes publiques n'auront le droit de sous-traiter qu'avec ces sociétés.

Reste les intermittents employés par l'audiovisuel public. Marc Tessier, président de France Télévisions (qui compte quelque 2 000 intermittents), a montré patte blanche en annonçant la régularisation de nombre d'entre eux, notamment à France 3. Mais Tessier a prévenu qu'il entendait «préserver le recours à l'intermittence pour certaines émissions non pérennes».