Libération
le 17 septembre 2003 Un intermittent sans culotte au poste Un metteur en scène lillois en garde à vue pour avoir manifesté nu. Lille de notre correspondante Le cheveu noir, le sourcil fourni, l'homme est posé, discret. On a du mal à l'imaginer nu sur le toit de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Lille. Et pourtant il l'était, comme une dizaine d'autres comédiens, le 4 septembre. Un acte «spontané, théâtral, et très symbolique pour expliquer, au moment où Aillagon refusait le moratoire sur l'accord, que si on enlevait à la culture ses moyens, nous étions littéralement à poil». Un acte qui a valu à Pierre Foviau, 39 ans, comédien et metteur en scène lillois, de passer hier plus de cinq heures en garde à vue. Et d'être convoqué le 23 janvier au tribunal de Lille, en «rappel à la loi», pour lui signifier que la prochaine fois, il pourrait être poursuivi. Délit. La loi ne prévoit rien moins qu'un an de prison et 15 000 euros d'amende pour le délit d'exhibition sexuelle. Car il est reproché à l'homme de théâtre qui a joué avec le Royal de Luxe, et met en scène Dans la solitude des champs de coton de Koltès cet hiver au Bateau-Feu de Dunkerque de s'être «mis nu dans un lieu accessible au regard du public». La comédienne Anne Conti n'était pas nue, mais en culotte. Elle est pourtant convoquée à 8 h 30 au commissariat central de Lille ce matin. Elle pourrait être accompagnée, par solidarité, de cinq autres personnes, qui étaient à ses côtés dans le plus simple appareil. Anne Conti qui aurait dû jouer dans le «in» d'Avignon dirigée par Vincent Goethals raconte : «On venait de recevoir un coup de fil nous apprenant le refus d'Aillagon. On l'a annoncé à la manif qui était en bas. On a dit : "Qu'est-ce qui va nous rester ?" Et quelqu'un a dit : "A poil." Une fille a commencé, puis on s'est déshabillés, les uns après les autres. On rigolait.» L'enquête a démarré sur plainte de la Drac, pour dégradation et vol. Les manifestants sont entrés dans les locaux, une porte aurait été dégradée sous la poussée et un agenda aurait disparu. Les policiers se sont rendus hier au domicile de Pierre Foviau, «où ils n'ont rien trouvé», précise le comédien. Joint par téléphone hier, le procureur de la République, Philippe Lemaire, se montrait menaçant : «La position du parquet est claire : une manifestation aboutira à des poursuites si l'on entre dans les services de l'Etat par la force. La ligne jaune a été franchie. S'il y a de nouveau envahissement de locaux avec dégradations, j'augmenterai la pression.» Dans la perspective de l'opération «Lille capitale européenne de la culture» en décembre, les intermittents voient là une «intimidation». Au commissariat, Pierre Foviau a remarqué sur les murs la photo d'une femme posant seins nus pour une marque de lingerie. «J'ai fait remarquer que ça n'était pas très respectueux. Les femmes flics souriaient.» Siège. Parallèlement, une centaine d'intermittents a occupé hier matin les locaux de la Drac de Bretagne à Rennes. A Paris, après la pose de banderoles sur la façade du Medef (VIIe ar.), 400 comédiens et techniciens ont pris possession d'un théâtre, rue du Cherche-Midi (VIe ar.), propriété de Gérard Depardieu. A l'étroit dans le commissariat du IIIe arrondissement, qu'ils occupent depuis le début du mois, ils entendaient faire de ce bâtiment leur siège. Dans la soirée, ils négociaient toujours avec l'agent de l'acteur. Le théâtre n'a pas vu l'ombre d'un spectacle depuis dix ans. |