http://www.liberation.fr/page.php?Article=134960 Cinéastes et documentaristes réinventent le film-tract Dépendants trop des télés, ils veulent redéfinir la notion d'oeuvre. Par Annick PEIGNE-GIULY vendredi 05 septembre 2003 «S'il y a de plus en plus de documentaires, ils se font dans une précarité de plus en plus générale.» Le réalisateur Yves de Peretti La première contribution des gens de l'image au mouvement des intermittents, ce sont ces deux films qui circulent de cafés en salles de réunion ou en festivals. Des images d'explication d'abord, avec Nous avons lu le protocole..., un cours magistral avec les équations au tableau pour mieux comprendre les arcanes du texte signé en juin. Un DVD très pédagogique donc, fruit de la collaboration entre le collectif Le Rendez-vous de juillet (PascaleÊFerran, Luc Leclerc du Sablon, Claire Denis, Jacques Maillot, etc.) et la Coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France. Des images des actions de l'été ensuite avec Virus 31 (1), «Vivier d'images remontées pour unité solidaire»... et «31», comme le 31 juillet où il a été projeté la première fois. Dilemme. Un film-tract, sorte de droit de réponse à la version des télévisions sur la lutte des intermittents. Une vision de l'intérieur de ces initiatives qui ont éclaté partout en France. A travers ce montage de documents réalisés par divers collectifs, explose le dilemme intime dans lequel se sont trouvés artistes et techniciens. L'épisode avec Pina Bausch au Théâtre de la Ville, où la chorégraphe se résout à annuler son spectacle : «Le temps est trop court pour trouver une solution plus belle !» La tragédie aux Chorégies d'Orange, où le public siffle les intermittents expliquant comment ils ont été grugés par France 2 qui a diffusé un «droit de réponse» de l'Unedic. Les opérations commando sur les tournages de pub, dans les locaux d'Endemol, de France 3... Un film in progress sans cesse réalimenté par les images de nouvelles actions. Un autre documentaire vient d'être achevé, la Marmite de Caen, tourné les 30 et 31 juillet au cours d'une réunion des collectifs. Mais les salariés du cinéma ont aussi travaillé tout l'été sur les conséquences d'un accord qui «est une sorte de licenciement sec pour une part des gens de ce secteur, et risque de porter un coup fatal à la production documentaire indépendante», souligne la monteuse Anita Perez. Tout s'est cristallisé lors des états généraux du documentaire, tenus fin août à Lussas. Sous la bannière Etats d'urgence, ces ateliers se poursuivent à Paris et ont pris à bras-le-corps l'économie même du documentaire pour imaginer une refonte du secteur. Sans être dupes des succès récents en salles (Etre ou avoir de Nicolas Philibert) ou à la télévision (l'Odyssée de l'espèce). «S'il y a de plus en plus de documentaires, expose le réalisateur Yves de Peretti, ils se font dans une précarité de plus en plus générale.» L'an dernier, 1 600 heures de documentaires ont été aidées par le Cosip (compte de soutien aux industries de programme). Une augmentation par rapport aux années précédentes, due surtout à l'arrivée des chaînes du câble sur ce marché. Due aussi au mélange des genres en vigueur dans le Cosip, où l'on aide aussi bien des oeuvres dites «de création» que la «téléréalité». Reste une économie fragile que les maigres budgets des chaînes câblées n'ont pas améliorée. Un sous-financement qui rend les réalisateurs de documentaires particulièrement dépendants des allocations chômage. «Un producteur nous a expliqué, raconte Anita Perez, qu'il avait produit une série pour 300 000 euros. Or le coût réel était de 400 000 euros, si l'on prend en compte le temps de préparation. De fait, les Assedic ont assumé les 100 000 euros de différence. Il a alors ajouté sur son générique : "en collaboration avec les Assedic". Et la chaîne a accepté !» Deux logiques. Une situation qui n'a rien d'exceptionnel. Si les intermittents réclament que les télévisions paient plus généreusement les oeuvres qu'elles commandent ou achètent, que les producteurs ne se débarrassent pas d'une partie du coût social des films sur le dos des Assedic, le collectif réclame aussi que «les aides au développement et à la préparation des films, celles du CNC (Centre national du cinéma, ndlr) et de la Scam (Société civile des auteurs multimédia, ndlr), soient revalorisées pour correspondre à la réalité de ce travail». Et, dans la foulée, que soit redéfinie la notion d'oeuvre au sein de la Scam ou du Cosip, pour détacher les documentaires de création des programmes de téléréalité. «Il y a là deux logiques différentes : une logique d'auteur et une logique industrielle.» Autre logique encore, celle de la réalisatrice Anne Toussaint, qui fait des films depuis cinq ans dans les institutions pénitentiaires, avec les prisonniers. «Nous bénéficions des subventions publiques, mais elles ne suffisent pas à mener à bien nos projets. Je ne vois pas ce qui pourrait remplacer ce système de l'intermittence, vital pour nous qui ne travaillons pas dans le cadre des télévisions.» Alors ils ont bien pensé à demander aux chaînes ou à des producteurs comme Endemol de verser une part de leurs bénéfices à l'Unedic et ainsi contribuer à combler le fameux trou... «Après tout, ils profitent eux aussi des Assedic pour leurs productions !». (1) Contact : video.protocole@free.fr |