Éditorial du Monde de la musique de septembre 2003, signé par Nathalie Krafft , directrice-rédactrice en chef de ce magazine: "Le chaos de l'été" Nul ne peut prétendre que les artistes et tous ceux qui travaillent dans les métiers du spectacle ne sont pas des gens "à part". Penser avoir quelque chose "à dire", "à chanter", "à jouer" place d'emblée les artistes dans une situation à nulle autre pareille. Ils sont à part, leur statut d'intermittents est à part et la protection dont ils bénéficient est unique en Europe. Et voilà qu'ils veulent être comme tout le monde. Et voilà que la collectivité publique doit payer pour leur singularité et leur choix personnel. Mais comme l'a écrit Patrice Chéreau dans Le Nouvel Observateur, "être intermittent n'est pas un dû, ce n'est pas une profession". Les annulations de festivals sont pathétiques. D'abord parce que les intermittents du spectacle se sont tiré une balle dans le pied. Mais surtout parce qu'elles révèlent l'ineptie d'un système dont tout le monde est plus ou moins complice; il y a bien sûr les abus de ceux qui font du chômage une profession; il y a aussi les abus de certaines entreprises qui engagent les gens en tant qu'intermittents faisant payer à la collectivité leur refus de les salarier comme tout le monde; mais il y a bien plus grave, les abus de langage : le label "culture" s'étant étendu indéfiniment et sans hiérarchie, tagueurs, jardiniers, clowns, dompteurs, couturiers, Blanche-Neige chez Disney, salarié chez Delarue, tout ce monde est artiste. Si on ajoute à cela la fameuse exception française qui conforte tout ce monde que justement il est exceptionnel et donc hors du droit commun, on arrive au chaos de cet été que l'Etat, en voulant plaire à tous, a enfanté. Les annulations de festival sont pathétiques car elles révèlent la confusion mentale dans laquelle se trouvent les intermittents du spectacle - vouloir tout à la fois jouir d'un état singulier et rechercher la protection maximale - et leur impuissance - ils croient avoir quelque chose à dire mais n'ont que la considération à revendiquer. Pour citer de nouveau Patrice Chéreau , "il faut crier, mais du haut , si j'ose dire, des spectacles que l'on fait". Nathalie KRAFFT |