http://www.humanite.fr/journal/2003-09-20/2003-09-20-379225

Notre rôle d'artiste est mal défini

Stéphane Magat. Artiste plasticien. Association SMP (sol, mur, plafond). Vit et travaille à Marseille.

Je suis entré aux beaux-arts à l'âge de vingt-cinq ans. C'est très utile pour nouer des contacts, mais reste ensuite la nécessité d'autonomie du travail qui nous a poussés - quatre plasticiens - à fonder une association. Au départ, nous souhaitions créer un lieu de monstration qui corresponde à nos ambitions. Nous organisons plutôt des expositions individuelles, parce que cela suppose une plus grande responsabilité de l'artiste par rapport à son travail et au public. L'association a dix ans. Nous sommes subventionnés par la Ville, le département, un peu par la DRAC. C'est un signe de reconnaissance. L'association se porte bien. Moi, beaucoup moins. Je suis érémiste. Individuellement, c'est très dur. Si une exposition ne débouche pas sur des ventes, c'est zéro. Les monstrations sont à peine défrayées. En plus de travailler dans l'atelier, il faut monter des dossiers, frapper aux portes. On se retrouve VRP. À mon sens, notre rôle d'artiste est mal défini. On attend de nous une production au sens capitaliste : un art " à l'américaine " façon Warhol, un art fait pour s'élever socialement. Aujourd'hui, un artiste doit apprendre à se vendre et ceux qui ont des préoccupations éthiques ne sont pas ceux qui s'en sortent le mieux.

Dans notre société le désir d'être artiste peut être très fort. Du coup, la concurrence joue à plein au détriment des contenus, de ce que l'art peut apporter individuellement ou collectivement. Dans ces rencontres, nous discutons, mais je ne vois pas de solutions dans le système tel qu'il est. Un artiste est quelqu'un qui s'autoproclame tel. En vivre, c'est un grand mot. Cela veut dire avoir la capacité de travailler, se loger, se nourrir. Les médias, la consommation " culturelle " de divertissement poussent à considérer que la culture doit générer des profits financiers ou idéologiques. On en oublie la part mystique, poétique de la création. Le développement de la pensée, des choix, de l'esprit critique, l'enseignement du respect d'autrui et des vraies valeurs républicaines devraient commencer à l'école. J'ai fait des interventions en milieu scolaire. La démarche est noble mais les moyens faibles et les enseignants trop souvent coincés sur l'idée d'excellence. On ne peut pas accéder aux beaux-arts sans le bac, ni après vingt-cinq ans. Le travail scolaire y prend trop le pas sur les travaux artistiques personnels, alors que les diplômes n'ont d'autre valeur qu'honorifique. L'association nous a permis une certaine visibilité. Je suis en quête d'une reconnaissance... salariale. Avant nous étions dans les églises. Aujourd'hui dans les centres d'art ou aux murs des salons des riches. Entre le sacré et la déco, cette société peut-elle nous intégrer ? Nous sommes considérés comme des improductifs. Tous les espaces semblent appartenir à quelqu'un ou à quelque chose. Je crois que les rapports de pouvoir détruisent tout. Il faut d'abord être maître de sa destinée. L'art, la science et la psychanalyse nous l'ont appris. La pub l'a effacé.