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Aillagon met le spectacle en chantier
Il lance un «débat national» mais ne veut pas remettre pas en cause l'accord.

Par Edouard LAUNET
jeudi 04 septembre 2003

C'est peu dire que Jean-Jacques Aillagon a été surpris par la grande explosion romantique, quasi soixante-huitarde, du mouvement des intermittents. On le vit un peu sonné au début du conflit, et la suite des événements ne fut pas de nature à arranger les choses : rarement ministre de la Culture aura passé un été aussi consternant, avec des festivals s'écroulant comme une rangée de dominos et des milieux culturels dressant des barricades sans pavés. Aillagon en fut réduit à parsemer ces mois chauds de promesses variées : missions pour évaluer ceci ou cela, lancement de grands débats, aides à la création...

Et maintenant, quoi ? D'un été pareil, on ne rentre pas, ou alors avec le projet de rebondir au fond de la piscine. Jean-Jacques Aillagon va essayer. «Ce que nous venons de vivre, dit-on Rue de Valois, c'est la fin des années-Lang.» Constat : depuis quinze ans, la politique du ministère se serait résumée à empiler des mécanismes d'aides et de soutien, dont le spectacle vivant (danse, musique, théâ tre) fut le principal bénéficiaire. Ce «système sédimentaire» ne serait plus gérable aujourd'hui, devenu une «sorte de Léviathan». La crise de l'intermittence en serait un signe.

«Effets pervers». Moyennant quoi, la Rue de Valois s'est fixé un objectif : reconstruire le spectacle vivant. Début des opérations aujourd'hui avec le lancement - lors du Conseil national des professions du spectacle - d'un «débat national» sur la culture, conduit par une personnalité dont le nom sera donné ce soir. Chantier qui devrait déboucher en début d'année prochaine sur la tenue d'«Assises nationales du spectacle vivant». Lesquelles serviraient ensuite à l'élaboration d'une loi d'orientation. Un beau projet énarchique, mais avec quoi dedans ? Si la Rue de Valois décrète «la mort du languisme», à quoi pourrait ressembler l'«ail lagonnisme» ? Ce n'est pas encore limpide. On parle de «redéfinir les responsabilités entre Etat et collectivités locales», de «s'interroger sur la place de l'artiste dans la cité»...

Tout le monde est preneur d'une réflexion globale : les coordinations d'intermittents, la CGT spectacle, le Syndeac (Syndicat des entreprises du spectacle, qui veut un vrai «Valois de la culture»), les directeurs de théâtre. Mais tous réclament, avant de commencer à discuter, un moratoire sur le nouveau système d'assurance chômage des intermittents - lequel doit être progressivement mis en oeuvre à partir de janvier. Ce à quoi le ministère oppose un niet absolu. «Il n'est pas question une seconde de remettre en question l'accord signé par les partenaires sociaux.» Toutefois, cet accord n'est pas considéré comme un «point final» : «Il sera placé sous observation, et si des effets pervers devaient se manifester, par exemple une exclusion importante des bénéficiaires de l'assurance chômage, nous n'hésiterions pas à interpeller les partenaires sociaux.» Maintenant que l'accord a été agréé par le gouvernement, le ministre serait plus libre d'interpeller l'Unedic, il aurait retrouvé «des marges de manoeuvre».

Mais supposons que ce grand débat soit un flop, faute de participants. Ce serait alors le scénario d'une insurrection rampante tout l'automne, avec occupation (amicale) des théâ tres subventionnés et coups d'éclats dans le privé. «Il faudra choisir son camp, rétorque la Rue de Valois. Un directeur de théâtre subventionné ne peut pas être à la fois en dedans et en dehors du système. Soit il est pour le dynamitage du système, et il est alors logique de renoncer aux subventions publiques. Soit il en joue le jeu.» Les directeurs de théâtre sont invités à réfléchir plutôt sur les moyens de stabiliser la création, en imaginant, par exemple, des systèmes de résidence.

Si le «débat national» a bien lieu, il commencera par des consultations régionales. Sera ouvert paral lèlement un chantier de consultations avec les artistes, les élus et les autres acteurs du dossier sur de multiples sujets : le travail illégal, l'économie des festivals, etc. Mais qu'on n'aille pas croire que le ministère va se polariser sur le spectacle vivant. «Le débat sur l'intermittence n'est que l'illustration de la nécessité de réformes importantes dans beaucoup de secteurs.» Aillagon compte présenter un plan en faveur des monuments historiques (dont la gestion est en voie de décentralisation) et intervenir sur la qualité des programmes de l'audiovisuel public (peu probable qu'il incite France Télévisions à faire de la «politique-réalité»). Il veut aussi prendre des initiatives en matière de politique culturelle européenne, présenter un «plan national pour la presse» et stimuler l'éducation artistique.

«Rénover». L'équipe se voit en place pour cinq ans, et cela devrait lui donner le temps de faire des «réformes de fond». «Le ministère de la Culture a vieilli. Il faut le rénover.» Le chantier promet d'être sportif.