Si une majorité de techniciens culpabilise (c'est encore à voir..) c'est aussi qu'ils n'ont pas le sentiment de participer "à la création culturelle" - au sens de certaines (petites) structures de prod (qui rejoignent en cela artistes et techniciens du spectacle vivant) - mais plutôt de participer à la fabrication d'une culture de masse. Travailler pour une télé par exemple c'est travailler à la production d'une culture de masse.

Filmer du rugby, du sport, des jeux.. c'est fabriquer ce type de culture. C'est l'usine. Même les docus réalisés directement par les chaînes (ou sous traités) sont définis, contraints, par un cahier des charges sévère et des conditions, des temps de tournage express intégrant conditions salariales (pour de grosses structures publiques et/ou privées), dépassements d'horaires (respect des conventions collectives oblige, quoique là aussi..), etc... prioritairement donc des coûts financiers.

Ce n'est pas là qu'existe réellement la recherche, ce n'est pas là travail artistique (au sens revendiqué par une partie du spectacle vivant). Les quelques réalisateurs qui sont dans cette démarche sont rapidement remerciés : hors sujet, trop de temps de tournage, non respect du cahier des charges, non prise en compte de la case télévisuelle (comprenez formatage, du film, de la pensée, de la forme), non prise en compte du public ciblé (comprenez audimat), etc... Reste donc la prod "indépendante" qui elle gère ces aspects tout à fait autrement. Là, les conditions draconiennes changent de nature et l'auto-flagellation est souvent la règle, contraintes obligent.

Pour en revenir aux technicien-ne-s, majoritairement, ils interviennent sur des champs extrêmement larges : du film industriel au film institutionnel en passant par le sport, l'actu, les colloques et conventions, des fois de la pub, un peu de docu, de fiction.. (je dois en oublier), pour les plus introduits. Les autres se spécialisent de fait, non par choix mais par obligation la plupart du temps. Le maître mot est la disponibilité, pour chacun (voyez vous par exemple un techno éteindre son portable en tournage ?). Le dilemme ? éviter ou choisir d'être captif d'une structure. Donc négocier. Salaire, temps de travail, priorité à l'embauche et choix personnel-s. 

Alors, discontinuité extrême du travail, conditions de travail, conditions salariales... chacun-e le vit dans ses tripes. Difficile de faire des choix amenant à plus de "culture". C'est plutôt la recherche d'un ilôt stable dans ce tourbillon. Il faut assurer. Assurer aussi car les usines de formation en tout genre tournent à plein régime, complètement déconnectées de la réalité du terrain (chacun à sa logique qui prétend ignorer celle de l'autre, ce qui au final sert le même maître) mettant sur le marché chaque année de nouveaux concurrents pour le plus grand bonheur des (grosses) boîtes de prod : tout devient plus facile à discuter. Précariser, déstabiliser, atomiser, rendre toujours tout et tous plus concurrentiel-s.

Au delà ce sont aussi les mises en coupe réglées du secteur. Comme l'écrit jluc: offensives économique et idéologique. Terminée l'euphorie née avec la création de nouvelles chaînes et l'espérance de travail accru. La période faste ( ! ) initiée sous les années mittérand arrive à terme : il existe aujourd'hui un audiovisuel privé, fort. Je ne parle pas ici du (tiers) secteur audiovisuel artisanal qui incarne souvent le meilleur des espoirs déçus. Il a eu son temps, et sa nécessité aussi pour masquer le projet. Maintenant c'est fini ou quasi. Gouvernement et medef s'emploient activement à ressérer les boulons.

C'est la phase finale et des têtes tombent et vont tomber. Enfin, les petites, celles qui ont cru aux promesses. Ces espaces (télévisuels et financiers) libérés alimenteront encore plus et mieux les poids lourds. Je gage que parmi les prochaines étapes il y aura aussi refonte des conventions collectives (y compris celle de l'audiovisuel public qui gêne encore pas mal, son tour devrait donc venir), apparition de nouveaux types de contrats de travail... Les intermittents techniciens ? ils peuvent peut être basculer en annexe 4, les choses y sont plus claires.. et plus faciles encore, là on n'y parle pas déficit (pourtant bien plus important). Enfin pas encore.

Alors pourquoi ne retrouve t-on pas dans le mouvement ces intermittents aux côtés des gens du spectacle ?

Pour bien des raisons déjà citées : travail discontinu certes mais aussi instabilité extrême, concurrence importante, démantèlement du régime de réformes en réformes et, paradoxe final, le sentiment d'être précaire.. tout en le niant, en silence. Car admettre cela c'est risquer d'être submergé par l'angoisse. C'est rejoindre les autres précaires, stigmatisés, à qui l'on dénie parole, autonomie, statut social valorisé et valorisant. (C'est l'une des armes les plus efficace du gouvernement-medef-médias que d'arriver à individualiser l'angoisse, d'empêcher qu'elle ne devienne expression revendicative collective).

Autre paradoxe, celui des réalisateurs. Certains partagent une démarche identique à celle des techniciens : trouver un employeur principal qui assure une stabilité minimale. D'autres peinent à faire des films et sont semblables à ceux du spectacle qui tentent de mener à bien leur-s projet-s. Pourtant ces réalisateurs, qui analysent bien ce qui se passe, ne sont pas dans le mouvement. Certains répondent en mettant en avant leur travail militant au travers de leur travail audiovisuel. Réponse un peu courte mais qui leur paraît suffisante.

Autre grande absente, la production indépendante. En dehors de quelques communiqués de circonstance c'est le silence. Pourtant la politique de décentralisation, la modification des dernières mesures d'aide à la création les visent tout particulièrement mais botus et mouche cousue.. ne faudrait-il pas mordre la main qui nourrit ?

Il y a pourtant là aussi tous les savoirs et analyses qui pourraient irriguer le mouvement (social). Alors ?....

michel (toulouse)