Matin
brun, politique de l’autruche et schizophrénie.
Ce texte est une tentative d’analyser l’absence (la désertion ?) des
intermittents de l’audiovisuel dans le mouvement actuel contre le
protocole
d’accord, en région Midi-Pyrénées. Il est aussi un appel à réactions, à
contributions.
Rapide historique régional
La seule réelle mobilisation des intermittents de l’audiovisuel a eu
lieu en
janvier 2000, lorsque notre annexe spécifique (la 8) fut alignée sur
l’annexe
(10), celle des professions du spectacle. Cette lutte s’est organisée
autour
de La Série, association des intermittents de l’audiovisuel, qui avait
un site
(en sommeil aujourd’hui par manque de combattant) et deux mailing list
( sur
la région : lhysteserie@abri.org et en national : interm@abri.org
qui
fonctionne toujours). Cette association tentait de faire dépasser le
cadre corporatiste.
A l’époque notre indemnité assedic était calculée en fonction des
conventions
collectives cinéma et non en référence au salaire réel journalier ; en
ce qui
concerne les techniciens du spectacles ils pouvaient encore déclarer des
cachets (base 12 heures) et pas seulement des heures comme aujourd’hui.
C’est
cela qui a été chamboulé.
Le spectacle vivant, endormi par la CGT, ne s’est pratiquement pas
mobilisé
pensant que ce n’était qu’une affaire d’audiovisuel, de “privilégiés”
et les
“artistes” n’ont pas sourcillé devant cette attaque contre les
techniciens de
leur spectacle.
Première grande défaite.
La CGT (il y avait des désaccords internes entre branche: intermittents
et
permanents, audiovisuel et spectacle vivant-ligne Voirin) disait à
l’époque
que comme ça les gens allaient se battre pour leur salaire et pour
l’application des conventions collectives sur leurs lieux de travail.
C’est
l’inverse qui s’est produit. La chute brutale du revenu cumulé (jusqu’à
plus
de 30% pour les moins payés) a accentué la concurrence entre
intermittents, le
stress, les mauvaises conditions de travail et de fait la baisse des
salaires
et la précarité.
En dehors de cette période, ce sont avant tout (pour l’audiovisuel) les
éléments les plus “politisés”, ceux par exemple qui questionnent le
rôle de
leur travail dans la société, qui se sont mobilisés. Sans doute parce
que dans
l’audiovisuel, contrairement au spectacle vivant (l’appartenance à une
compagnie), l’intermittent a rarement un rapport régulier au collectif.
On
peut remarquer la quasi absence dans le mouvement de l’association
Cinésud qui
est un regroupement purement corporatiste d’intermittent de
l’audiovisuel dans
la région.
Dans le même temps la formation croissante, et de plus en plus
disproportionnée par rapport à la demande, de technicien de
l’audiovisuel
augmentent la concurrence entre individus et les abus des gros
employeurs.
Cette politique de formation crée un volant de main d’oeuvre corvéable
et peu
revendicatif. TLT par exemple utilise des techniciens et des JRI en
stage
pratique de formation sans embauche à la sortie. Ils sont remplacés par
d’autres stagiaires (formés au préalable par une grosse boîte
d’audiovisuel régional).
Passé trente cinq ans, cela devient particulièrement difficile d’être
intermittents dans l’audiovisuel.
La vraie chasse aux zabus était d’obliger à appliquer les conventions
collectives.
Où travaillent ces intermittents ?
A France 3 Sud, à TLT, pour les quelques grosses structures de
productions
(liées à des grands groupes) ou de prestations techniques, pour des
petites
structures de productions indépendantes, pour des associations...
Que se passent-il aujourd’hui ?
Comment se fait-il que même les intermittents de l’audiovisuel les plus
“politiques” sont en dehors du mouvement ?
Je ne pense pas que c’est dû à la méconnaissance du protocole d’accord.
L’information circule, le film “nous avons lu le protocole d’accord”
aussi.
L’audiovisuel est équipée pour ça.
Je crois que plusieurs facteurs induisent cette situation.
Il y a d’abord cette forte concurrence individuelle, mais ce n’est pas
la
seule raison.
Les structures de productions indépendantes régionales ont
surtout commencé à
se développer à partir de 1981 (avec un envol dans les années 90) grâce
au
développement de la vidéo mais aussi à l’apparition de nouvelles chaînes
nationales en demande de documentaires. Elles ont surtout vécu (vivoté)
en
fabricant du documentaire. Plusieurs sont mortes depuis, d’autres ont
pris le
relais. Mais depuis quelques années, malgré le nombre croissant de
chaînes, la
demande n’a guère évolué. De plus une majorité de ces nouveaux
diffuseurs
(câbles et satellites) achètent leur programme pour une bouchée de pain.
Depuis quelques années la politique des décideurs est de favoriser la
concentration de la production audiovisuelle dans quelques sociétés
pour les
rendre concurrentielles au niveau international. De forts lobbies
financiers
manoeuvrent dans le même sens.
Le conseil constitutionnel accorde à Pop Star l’appellation d’oeuvre
audiovisuelle, ce qui permet à ce genre de programme d’accéder
maintenant aux
aides à la création du Centre National de la Cinématographie (CNC).
Le Compte de Soutien à l’Industrie des Programmes du CNC, le COSIP, est
la
principale aide aux documentaires de création.
Pour avoir droit au COSIP il faut obligatoirement avoir au moins un
diffuseur
télé, homologué par le CNC, qui entre dans le budget du film à une
hauteur
d’au moins 25%. On peut dire que, la forme et le fond du film, dépendent
étroitement de la politique de programmation de la chaîne en question
et de
plus elle a plutôt tendance à travailler avec ses potes.
Le COSIP a un fonctionnement à deux vitesses : le compte automatique et
le
compte sélectif.
Ont accès au compte automatique les structures qui l’année précédente
ont
bénéficié d’un certain nombre d’aides du compte sélectif (mais recalculé
d’après un barème lié à la durée totale des films aidés et de la
grosseur de
la chaîne qui diffuse). Dans ce cas, la structure a droit à une somme
globale
allouée qu’elle va partager à l’année sur différents projets.
Avaient accès au compte sélectif, les documentaires de création
(coproduit par
une chaîne au minimum à hauteur de 25%). Jusqu’à il y a environ un an,
90% des
projets présentés étaient sélectionnés. La plus grosse difficulté était
de
trouver un diffuseur.
La composition du jury de cette commission était publique.
Mais voilà, depuis plusieurs mois et avant le 26 juin, tout change.
Les émissions comme Pop Star y ont droit. Seuls 30% des projets sont
sélectionnés au compte sélectif du COSIP, le jury devient clandestin.
Le CNC prévoit de rendre plus difficile l’année prochaine l’accès au
soutien
automatique et d’écarter les coproductions avec des chaînes locales...
Déjà qu’il n’y a pas beaucoup de place dans la grille des programmes des
chaînes régionales (de plus France 3 Sud coproduit le plus souvent avec
des
grosses structures) et locales...
Une autre source de financement provenait des ministères. Certains
services
subventionnaient les films qui pouvaient coller à une de leur case. Ce
temps
là est fini aussi. Ils ont tout juste de quoi payer leur crayon ou
préfèrent
financer livres de Ferry, lettres expliquant la retraite à tous les
français
et plaquettes de propagande.
Alors où trouver de l’argent pour une structure de production
indépendante en
Midi-Pyrénées ?
Le Département de la Haute-Garonne n’a pas de ligne budgétaire pour ce
genre
de chose.
La Mairie de Toulouse pas à ma connaissance non plus.
La Région ?
Elle a une aide à la création audiovisuelle mais bien en deçà de la
demande.
L’Association des Producteurs Indépendants Audiovisuels Midi-Pyrénées
(APIAMP)
s’est battu depuis plusieurs années, avec des arguments moins
idéologiques
qu’économiques, pour qu’il y soit fixé règles et transparences. Avec
beaucoup
de difficulté elle est parvenue en apparence à gagner des choses.
Des critères techniques de sélection des projets ont été mis en place,
l’Apiamp participe aux comités d’experts qui attribuent ces
subventions. Mais
elle se retrouve aujourd’hui confrontée à un gros problème. Ce n’est
pas elle
qui a désigné les autres experts. Dans la commission consacrée aux
documentaires de “création” elle se retrouve minoritaire sur la vision
artistique des projets : sur leur engagement dans la forme et le fond.
Il faut
dire que les diffuseurs sont sur représentés et que peut-être cela y
joue ?
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire mais je recentre.
Bref, au-delà de la région, sur le plan national cette situation de
crise
était prévisible bien avant le 26 juin. On estimait déjà la disparition
de 30%
des structures de productions indépendantes au niveau national. Le
protocole
d’accord c’est ajouté à cela.
Cela fait un moment déjà que les réalisateurs, par exemple, survivent
en étant
polyvalents ou/et en intervenant dans des écoles, des lycées, des
structures
de formation audiovisuelle. Au risque de ne plus faire de films.
Mais cela ne durera encore qu’un temps car dans leur ensemble les
subventions
pour le tiers secteurs et les budgets des associations ont été revus à
la
baisse : voir ce qui arrive aux associations de quartier, aux CEMEA, à
la
FOL... voir ce qui arrive à l’école publique.
Alors il nous faudra peut-être changer de métiers.
Cela n’est pas dû au hasard si la télévision associative et non
commerciale Tv
Bruit a rencontré peu d’écho dans le milieu professionnel de
l’audiovisuel.
Elle est majoritairement composée de précaires. De même elle
n’intéresse pas
les structures de productions indépendantes car en apparence elle ne
leur
apportera rien (pécuniairement s’entend).
Le secteur de l’audiovisuel morfle depuis un bon moment déjà et vie une
situation qui s’aggrave de plus en plus rapidement. Dans ce cadre qu’on
nous
impose il n’y aura pas de place pour tout le monde et les élus devront
bien
s’adapter pour ne fabriquer (et n’être) qu’une marchandise.
Face à cela, la tendance paraît être le repli sur soi alors que la seule
réponse efficace ne peut-être qu’une réponse collective et éminemment
politique. En rupture ? En ce sens, se pose aussi crucialement la
nécessité de
construire nos propres outils et réseaux de diffusions.
Beaucoup le savent ou le sentent, mais faire ce pas peut sembler
extrêmement difficile.
jluc
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