Bonjour à
tous ! Voici un texte en cours d'élaboration sur lequel j'aimerais votre avis. J'aimerais l'enrichir avec tous ceux qui voient dans ces propositions une proposition constructive, et en faire une sorte de pétition. Amitiés, Armand : Pour une dose de permanence des équipes artistiques dans le spectacle vivant La crise vécue aujourd'hui par les intermittents du spectacle ne saurait se réduire à une discussion technique sur tel ou tel aspect de notre régime, et son ampleur démontre que le malaise est profond et remet en question l'ensemble du fonctionnement de nos professions. Il y a longtemps que « la coupe est pleine », et si cette question de notre régime de chômage est si brûlante, c'est que l'ensemble du système dans lequel nous travaillons y est adossé. Une fois admis que les conditions de négociation de la réforme des annexes 8 et 10 sont inacceptables - parce-que non démocratiques -, on voit bien que c'est la politique culturelle dans son ensemble qu'il faut remettre en question. Je ne parlerai dans ce texte que du domaine du spectacle vivant, pour lequel je suis un peu compétent, et n'aborderai absolument pas les questions liées aux choix artistiques des uns et des autres. Les raisons de la crise Dans les années 80, des sommes nouvelles considérables sont consacrées à la culture, et au spectacle vivant. C'est alors que le nombre des compagnies indépendantes commence à croître, voire à exploser, dans un mouvement qui ne s'est pas encore arrêté. L'Etat et les collectivités locales saupoudrent. Les compagnies sont à la fois incitées à fonctionner, notamment par la signature de multiples conventions et contrats d'objectifs, et privées des moyens décents d'assumer les missions toujours plus nombreuses auxquelles elles s'engagent, non seulement en matière de création artistique, mais aussi dans les domaines de la formation, de l'action sociale, de la politique de la ville, etc. Progressivement, les indemnités de chômage ne servent plus seulement à rétribuer les périodes de non-activité ou de recherche d'emploi, mais se substituent aux salaires que les compagnies ne peuvent pas verser pour remplir leurs missions. Ainsi, la presque totalité des compagnies d'une région comme l'Aquitaine n'auraient pas les moyens d'employer une seule personne à temps complet (en dehors des emplois aidés), ainsi les institutions signent-elles des conventions avec des « directeurs artistiques » (supposés exercer cette fonction à l'année - c'est mon cas), qui sont eux-mêmes tous des « intermittents du spectacle ». En fait, si l'application de la réforme de notre statut mettrait à mal un tiers de notre profession, je crois que dans tous les cas de figure, la simple application stricte de la loi et des conventions collective en vigueur suffiraient à mettre à bas la plupart d'entre nous. Dans le même temps, la totalité des troupes permanentes ont disparu du réseau des théâtres nationaux, centres dramatiques nationaux et régionaux, et scènes nationales, à l'exception notable de la Comédie Française. Dans ces théâtres, les seuls emplois permanents sont administratifs et techniques, et même pour ceux-ci, l'intermittence et la précarité sont devenus outils de gestion courante. Comme dans l'audiovisuel, on a multiplié les « permittents », au mépris des lois. Ce qui est remarquable pour quelqu'un qui comme moi est intermittent depuis 15 ans, c'est que ce passage du statut de nos indemnités de « chômage » à « salaire de substitution » est vécu par les nouvelles générations comme allant de soi, voire revendiqué au nom de la liberté artistique. Mais nous y reviendrons. Les conséquences fâcheuses de ce système sont nombreuses. D'abord, l'atomisation de nos compagnies en micro ou moyennes structures débouche sur une offre de spectacles et de prestations qui, en quantité, qualité et format, ne répond absolument pas aux besoins et demandes existant chez les publics concernés. Ensuite, cette atomisation induit chez les créateurs une frustration permanente due au manque de moyens, une sensation d'énergie gâchée, de talent gaspillé, voire de colère, ou de démotivation. Comment conserver son enthousiasme quand le moindre projet met plusieurs années à se concrétiser ? Une autre conséquence de ce système est la place grandissante prise par tous ceux qui sont chargés de distribuer les sommes encore disponibles, d'étudier nos innombrables dossiers, et de faire leur marché parmi la masse des spectacles proposés. Qu'on m'entende bien : il ne s'agit pas ici de mettre en cause la qualité ou l'intégrité de ces personnes, souvent passionnées de nos activités, mais leur nombre, le coût des structures qu'ils animent, et la confiscation de notre pouvoir artistique à leur avantage. Le choix offert aux « diffuseurs » et autres « opérateurs » est tel qu'ils ont de moins en moins intérêt à se faire « producteurs », solidaires du processus de création des spectacles, et qu'ils peuvent fermer les yeux sur les conditions d'élaboration de ces spectacles, un peu comme les grandes entreprises aux règles sociales vertueuses ignorent les conditions d'emploi chez leurs sous-traitants. Oui, voilà ce que nous sommes devenus, des sous-traitants, et beaucoup des artistes que nous employons sont les soutiers du système, soumis à la précarité que l'on retrouve de plus en plus dans ce système libéral dont nous sommes peut-être, avec ce statut d'intermittent auquel nous tenons tant, bien représentatifs. Enfin, sans aborder ce qui relève des goûts et des choix de chacun, il faut bien voir en quoi ce fonctionnement affecte cette fameuse « excellence artistique » si chère à notre ministère. Les spectacles sont souvent montés avec des moyens insuffisants, beaucoup trop peu joués, et, lorsqu'ils sont achetés et repris, trop tard, et selon des calendriers trop chaotiques. Alors deux options s'offrent au comédien : ou il veut rester fidèle à une compagnie, disponible pour des reprises, ou tout simplement pour travailler, se confronter à ses camarades, faire ses gammes en quelque sorte, et dans ce cas l'intermittence devient le vrai salaire de sa permanence dans cette compagnie. Ou il privilégie sa « carrière », la multiplicité des rôles et expériences artistiques, et jongle avec des plannings impossibles, est en quête permanente d'auditions, de castings, est à la fois ici et là, contraint ses employeurs à des remplacements permanents (et donc à des reprises de répétitions), et ne dispose pas du temps nécessaire à bien travailler. Quand aux spectacles eux-mêmes, trop peu ou trop irrégulièrement joués, ils ne peuvent mûrir et prendre leur vitesse de croisière, donner les meilleurs de leurs fruits, qui, nous le savons, ne sont souvent que des promesses lors des premières représentations. Pour remédier de façon durable et efficace contre ces dérives, je propose de réinjecter une « dose » de permanence artistique dans l'ensemble du spectacle vivant Quelle permanence ? Si j'emploie à dessein le terme « dose », comme quand on parle de la proportionnelle, c'est que je ne propose évidemment pas de supprimer l'intermittence, ou de transformer tous nos contrats en CDI à vie. Non, il s'agirait plutôt d'encourager, à tous les niveaux, en créant s'il le faut les outils juridiques adéquats, les contrats les plus longs possible, d'au moins quelques mois, si possible d'une ou plusieurs années renouvelables, et de rattacher, un peu partout sur le territoire, des troupes à des théâtres. Commencer par le haut C'est à mon avis à l'Etat de montrer l'exemple, en exigeant de tous les théâtres qu'il contribue à financer, qu'une partie de leur budget artistique soit consacré à des emplois artistiques permanents. Cela peut se faire relativement facilement, il suffit de modifier les cahiers des charges, et de donner à ces structures les moyens nécessaires à cette politique. Moins de structures Ne nous voilons pas la face : cette politique appliquée aux compagnies indépendantes n'assurerait pas la survie de toutes les structures existantes. Si je crois qu'il doit y avoir moins de compagnies (et je place évidemment la mienne dans le nombre), cela ne veut pas dire qu'il devrait y avoir moins d'artistes. Chaque compagnie devrait pouvoir compter plus d'artistes (permanents ou intermittents) qui joueraient plus, se confronter à différents metteurs en scène, intégrer des débutants (et des séniors !), monter des textes aux distributions plus nombreuses. Certes il y aurait moins de spectacles proposés, mais ces spectacles se monteraient dans de meilleures conditions, se joueraient plus souvent, et toucheraient plus de public. Des troupes réinvestiraient des théâtres (ce qui ne les empêcherait pas de circuler), qui ne seraient plus ces lieux vides qu'ils sont devenus. Des cahiers des charges bien conçus permettraient à ces structures d'alterner le travail de création avec les missions plus sociales que l'on nous demande, et le coût des spectacles serait mécaniquement plus faible. Des solutions « à la carte » Il est probable que certains d'entre nous soient trop nomades pour souhaiter s 'attacher durablement à une équipe. Une dose de permanence ne les empêcherait pas de rester fidèles à eux-mêmes, car les équipes permanentes auront toujours besoin de talents extérieurs et complémentaires. Il serait possible aussi de rester quelques temps dans une structure, de redevenir intermittent, puis de rejoindre une autre équipe. En fait, il faut inventer un système souple, moins déstructuré que notre modèle actuel, moins rigide que le modèle allemand. En outre, il y aurait toujours des compagnies sans attaches, circulant partout. Les objections habituelles Lorsque je développe ces idées, quelques objections reviennent régulièrement, du genre : Vous voulez être des fonctionnaires de la culture ou Vous voulez mettre à mal la liberté artistique des créateurs. Je développerai plus loin mes réponses à ces objections, avec l'aide de ceux qui voudraient s'associer à moi. En attendant, je souhaite déjà soumettre ces quelques pages à votre attention, pour alimenter les débats en cours. Armand Eloi 06 07 38 77 97 armand.eloi@planetis.com ===================================================== Petite contribution au débat sur la permanence artistique. Très vite, si tu souhaites développer cet argument même à petite dose, j'espère que tu tiendras compte de deux objections : - l'une à trait à l'éloge du CDI comme rempart ultime à la précarité. Ca concerne tous les métiers. Et bien en l'état actuel de la législation (régime général), il est plus compliqué de rompre un contrat CDD qu'un contrat CDI. Le prix à payer dépend des conventions collectives des secteurs. Ce prix, l'entreprise est prête à le payer lorsqu'elle souhaite licencier, elle en a les moyens. Toujours cette inégalité chronique des moyens car lorsque tu es en CDI et que tu souhaites rompre ton contrat en démissionnant, tu n'as pas droit au chômage. Et c'est le problème du secteur privé qui du reste se mobilise peu car la pression est énorme quand on est en CDI. En 70, le marché du travail était très différent. Du boulot on en trouvait très facilement et la perspective de se retrouver un mois ou deux sans salaire était tenable. Aujourd'hui il faut prouver devant une commission plus de quatre mois de recherches infructueuses pour espérer toucher une indemnité : qui en a les moyens ? Alors tu restes dans l'entreprise en attendant des jours meilleurs voire même qu'on te licencie... C'est beau la vrai-fausse précarité des CDI. Bref, la précarité ou la discontinuité du travail touche de plus en plus de secteurs (voir les dernières évocations d'un statut d'intermittent pour les informaticiens - impensable il y a encore quelques années, non ?). On est surtout incapable de repenser un fonctionnement salarial en phase avec un monde du travail qui se transforme : le CDI est de plus en plus une chimère, le travail une idole. - S'il est un secteur ou la production n'est pas régulière c'est bien le spectacle. Le CDI n'a aucun sens. Travailler régulièrement avec quelqu'un pendant plus de 20 ans est possible avec l'intermittence. Les compagnies le savent bien puisqu'elles développe une sorte de permittence. Il serait intéressant de se pencher sur cette notion, l'asseoir, l'analyser, reconnaître sa place, son utilité (il existe d'ailleurs un contrat de travail peu connu : le contrat intermittent à durée indéterminée : cas des intervenants réguliers dans les cours...). Idem pour le statut juridique d'une compagnie qui n'existe pas (la forme la plus fréquente est la loi 1901 qui ne correspond pas loin de là à la situation des Cies mais c'est la plus souple). Faut pas s'accrocher à des chimères, faut créer des statuts pertinents (considérés à ce jour plutôt comme impertinents c'est sûr). C'est ça notre responsabilité et non pas de penser qu'on est trop nombreux (quelles est la norme ?). En bref aussi, je ne me reconnais pas dans tes revendications : quelques compagnies qui auraient les moyens de... Ceux qui ont les moyens pour moi ne font pas toujours mieux; c'est plus compliqué que ça coco. Pas le temps de développer, mais c'est pour que tu aies une réponse. Sylviane ===================================================== bonjour, je complète l'intervention de sylviane par l'évocation d'un fâcheux détail : les employé(e)s de fast-food et de nombreuses entreprises de "services à la personne", en pleine croissance, embauchent très souvent en CDI et cela protège moins le salariée CDI = de quelle manière bouger de là ? la démission entraîne une période de carence de 4 mois pour ouvrir des droits à allocation chômage, encore faut-il faire la preuve de sa recherche d'emploi ; donc se barrer implique d'avoir trouvé un taf moins mal payé ou moins nul ou bien de diminuer sa consommation jusqu'à la reprise d'un bad job schématiquement, selon deux pôles d'un continuum, des interdits de RMI aux "inclus" des annexes 8 et 10, le salaire direct issu de l'(ensemble des) entreprises et le salaire social -les formes de revenu au delà de l'emploi- sont articulés ; les modalités d'une subordination salariale qui ne dit pas son nom gouvernent la mobilité sur le marché de l'emploi pizza hut connait 170% de TURN-OVER annuel l'annexe 4 de l'Unedic concerne les INTERMITTENTS de l'industrie la majorité des entrées au chômage sont des fins de CDD il faut SUIVRE les parcours d'insertion (PARE, RMI/RMA) etc etc etc etc laurent ===================================================== A Sylviane, Laurent, et les autres... Merci pour vos réponses à ma proposition. Je voudrais tout de suite dire que je ne souhaite en aucun cas un emploi généralisé du CDI dans nos professions. Je le dis clairement dans mon texte : il s'agit d'une dose de permanence, genre contrats de 6 mois, un an, trois ans, renouvelables. J'y reviens ci-dessous. Autre chose très rapidement : je ne crois pas que les "petites" compagnies travaillent mieux que les "grosses" (d'ailleurs j'en dirige une petite). Seulement le système de subventions actuel est tel que de nombreux metteurs en scène sont incités à créer une compagnie, même quand ce n'est pas leur projet : en gros, c'est : un metteur en scène, une compagnie. Du coup le mouvement s'accélère, au détriment d'ailleurs des derniers arrivés. Ce système nous mène inévitablement dans le mur !!! Alors il faut accepter une réorganisation d'une manière ou une autre : si nous ne le faisons pas, le pourrissement s'en chargera, et les plus petits trinqueront. CE QUE JE RETIENS D'ESSENTIEL Les structures juridiques dans lesquelles nous travaillons sont inadaptées : - c'est vrai pour les compagnies : l'association loi de 1901 ne représente pas la réalité de nos structures. Il y a sans doute quelque chose à creuser du côté de "l'économie solidaire", qui concilie le côté désintéressé et le côté commercial de nos activités. - c'est vrai pour les contrats de travail : il faut inventer, en dehors des cdd et cdi, une sorte de contrat artistique à durée déterminée, en pensant bien aux conséquences pour les autres métiers : c'est ce que réclament Lavaudant, Braunschweig et Françon dans un article du Monde du lundi 19 mars 2001. - c'est vrai pour les assedic : il faut que des gens puissent s'engager sur des contrats de quelques mois et réintégrer l'intermittence facilement. CE QUE JE NE PEUX ACCEPTER L'idée qu'il soit normal, par exemple, de ne pas rémunérer l'intégralité des répétitions. De quel droit critiquerions-nous le médef si nous faisons si peu de cas du code du travail dès lors qu'il nous concerne ? CONCLUSION Il faut inventer un système souple et à la carte, qui concilie semi-permanence et intermittence, et qui incite dans tous les cas à la durée des contrats. |