De la nature de la recherche dans le domaine des OGM
Par Dominique Mourlane*

La rubrique " perspectives " rédigée le vendredi 19 septembre par Denis Sergent dans la Croix, mérite quelques remarques.
En premier lieu, il est bon de rappeler que la pétition citée par Denis Sergent " Défendons la recherche " veut prendre exactement le contre-pied d'une précédente pétition lancée par des scientifiques et des chercheurs de Montpellier, durant cet été, qui posait le problème des OGM de la manière suivante : " Nous avons pris conscience qu'au-delà de la recherche, les OGM constituaient une véritable machine de guerre commerciale pour certains groupes multinationaux visant à contrôler totalement les paysans et l'agriculture de la planète, en les rendant dépendants, par le biais de brevets, de ce qui a toujours été gratuit : la biodiversité génétique. Ces comportements montrent clairement l'utilisation qui risque d'être faite des résultats de nos propres recherches, si la société et les pouvoirs politiques, ensemble, ne définissent pas les moyens d'en garder le contrôle ".
Je voudrais aussi signaler la dernière livraison des Dossiers de l'environnement de l'INRA (n°23 de juillet 2003, page 164) qui nous apprend également que " l'utilisation de plantes génétiquement modifiées (OGM ou PGM) pour la résistance à un herbicide facilite a priori les pratiques extensives par la simplification du travail du sol ; cependant, elle induit de nombreux problèmes agronomiques tels que le contrôle des repousses, la sélection d'adventices tolérantes, le contournement des résistances variétales monogéniques, l'apparition d'hybrides "invasifs ", l'éviction accrue des "petites espèces " indispensables à la diversification, la maîtrise des contaminations génétiques. Des résultats récents semblent montrer que la simplification des pratiques sur les parcelles est plus que compensée par la complexité et le coût des pratiques d'isolement et de prévention indispensables aux bordures de celles-ci. Quant aux plantes génétiquement modifiées pour l'expression de la toxine entomopathogène de Bacillus thuringiensis, elles présentent, pour la préservation de la diversité biologique, un double inconvénient lié aux limites de la spécificité d'action de cette toxine, d'une part, et au risque accru de la sélection de souches de ravageurs résistants, d'autre part. "
Quant à la position d'Attac en ce qui concerne la " liberté de faire de la recherche ", elle est claire et précise : Attac est pour une recherche fondamentale publique, avec des moyens publics, transparente et sous contrôle citoyen, même pour les OGM, car nous ne pouvons pas exclure la possibilité de résultats bénéfiques.
La pétition menée par monsieur Alain Toppan, cadre de la firme Biogemma, vise à défendre une application commerciale d'une technologie qui est loin d'être au point.
Toutes les études existantes sur la dissémination pollinique attestent d'une pollution des OGM sur les cultures conventionnelles ou biologiques de même famille.
Aucune étude sérieuse, hormis celle d'Arpad Pusztaï qui a démontré la nocivité des pommes de terre transgéniques sur l'appareil digestif des rats, n'a démontré encore l'innocuité de l'ingestion des plantes génétiquement modifiées par les humains ou bien par les animaux, simplement parce qu'aucune étude n'a été entreprise ou menée jusqu'à son terme.
Il n'y a aucune nécessité de faire des essais en plein champ en France ou en Europe, alors que cette expérience en milieu ouvert existe déjà à l'échelle du continent nord-américain. Notons que les premières études épistémologiques en provenance de cette région du monde sont inquiétantes, tout en méritant des enquêtes plus approfondies, pour connaître les véritables causes (OGM ? Pesticides ? Engrais chimiques ?...).
Denis Sergent pointe à juste titre dans son article la volonté des chercheurs pour que le débat continue. Attac dit " chiche ! ". Et je rajoute qu'il existe le rapport dit " des quatre sages " de février 2002, qui a déjà entamé ce débat, que ce rapport peut être le point de départ d'un débat national initié par la Commission nationale des débats publics. Bien sûr ce débat ne peut pas être biaisé, et doit accepter aussi la réalité sociologique à savoir que 71 % des Français et des Européens sont opposés aux OGM.
Nous ne sommes pas dupes du besoin qu'ont les entreprises agro-semencières du type Biogemma ou Monsanto, de l'existence des OGM. Les OGM, par l'entremise des brevets, permettent à ces entreprises d'obtenir une propriété intellectuelle chèrement vendue aux paysans, qui ainsi perdent la maîtrise agricole : un tour de passe-passe qui transfère les compétences paysannes en propriété industrielle, ainsi se réalise la main mise sur le vivant.
Enfin, pour ce qui est de notre compétitivité économique dans le domaine agricole, je ne saurais que renvoyer à l'excellent dossier d'Alternatives Economiques (n°217 de septembre 2003) sur l'OMC et l'agriculture, ainsi que sur le dossier rédigé par l'Ecologiste (n°10 de juin 2003) où il est détaillé l'existence au niveau mondial d'une production alimentaire suffisante, l'absence d'une volonté politique pour régler le problème de la faim dans le monde, et la nécessité d'une répartition plus juste des terres, des moyens de production et des récoltes. En abrégé, il est question des inégalités économiques et sociales : les problèmes sont l'accès au foncier ou aux revenus permettant d'acheter de la nourriture, ou les moyens de production pour subvenir à ses propres besoins.

* Membre du Conseil d'administration d'Attac et animateur de la commission OGM.