(Le Progrès du 2 octobre 2003)

Halte au bio-catastrophisme

Pour Dominique Lecourt, président du Comité d'éthique de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), professeur de philosophie à l'Université de Paris 7 et délégué général de la fondation Biovision de l'Académie des sciences, le bio-catastrophisme force à rappeler que l'Homme ne peut être réduit à ses gènes.
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Pourquoi cette défiance spectaculaire vis à vis de la science ?
On assiste à une sorte de retournement de l'opinion, face aux sciences du vivant, et en particulier face à la génétique, avec la crainte d'une menace qui remettrait en cause l'humanité. Cette crainte sous-tend le bio-catastrophisme ambiant, en niant les apports très concrets, très précieux, des sciences du vivant depuis cinquante ans. Aujourd'hui, l'opinion veut tout, tout de suite, et sans risque, sans la vision historique du temps, de la science, avec ses hypothèses, ses essais. Le bio-catastrophisme repose sur l'idée que la nature humaine et la nature tout court seraient menacées de destruction. L'homme jouerait à l'apprenti sorcier en libérant d'une manière irréversible des forces incontrôlables. On revit les mythes de Faust, de Frankenstein.
La technique est également remise en cause
Dans la peur des OGM, par exemple, la technique est la cible de la critique. Les Occidentaux considèrent que la technologie est fille de la science, et qu'elle aliène, qu'elle viole la nature. Les OGM, c'est le mal, on les arrache, on arrache même les plantes tropicales du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) qui ne représentent pas de danger en France. Et le discours de José Bové, en terme de « bien » et de « mal », de « culture de mort », est révélateur d'une vision morale. La vérité, c'est que la technique a toujours précédé la science, qui, elle, est très récente. En fait, l'homme a toujours modifié son milieu. La nature n'a jamais été pure, et la technique n'est pas extérieure à la nature. On soupçonne les chercheurs d'être des savants fous prêts à faire n'importe quoi, alors qu'en 1974, les biologistes ont eux-mêmes décidé d'un moratoire sur les manipulations, en adoptant une très grande vigilance et en appliquant d'eux-mêmes le principe de précaution avant qu'il ne soit formulé.
Y a-t-il eu des événements déclenchants ?
La naissance de Dolly a été perçue comme une sorte d'Hiroshima biologique. Personne ne croyait l'événement possible et il a provoqué une énorme stupeur. On a cru que les biotechnologies allaient remettre en cause la nature de l'homme.
Pourquoi ?
Après la mise entre parenthèses de la référence religieuse, la nature biologique est devenue au XIXe siècle, depuis Darwin notamment, la référence essentielle. L'homme a été identifié avec ses gènes. Or l'homme est beaucoup plus compliqué, plus riche ; un être moral, social, un être de culture, de désir, qui a besoin de règles.
Il faut trouver une nouvelle définition de la nature humaine qui ne se réduise pas aux gènes. Les philosophes apporteront leur réflexion, mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir élaborer cette nouvelle conception. Les chercheurs, les hommes de terrain, qui comprennent que ces questions ne peuvent être esquivées, peuvent contribuer à donner une vision plus souple, plus ouverte de l'Homme.
PROPOS RECUEILLIS PAR M.D.