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Le 28 janvier 2003
Guerre du Golfe : Bush appelle la publicité à la rescousse
 

Une campagne sans précédent en prélude au conflit irakien. Ex-publicitaire à succès, aujourd'hui sous-secrétaire d'Etat chargée des relations publiques, Charlotte Beers dispose d'un budget de 15 millions de dollars pour faire passer le message de l'administration Bush.

A la veille d'un éventuel conflit en Irak, l'administration Bush a lancé une campagne de relations publiques qui semble avoir atteint son paroxysme.

«On n'a jamais vu un effort de cette ampleur», constate Youssef Ibrahim, expert au Council on Foreign Relations, un think tank (laboratoire d'idées) basé à New York. Des outils comme Voice of America ou Radio Free Europe, créés par le Congrès américain au début de la guerre froide à destination notamment de l'Europe et du Moyen-Orient, paraissent aujourd'hui insuffisants au gouvernement Bush.

C'est pourquoi le Département d'Etat a lancé une série de spots publicitaires diffusés pendant le ramadan dans le monde arabe, conçus par McCann-Erickson. «C'est la première fois qu'on emploie une agence de publicité pour faire le travail des diplomates», analyse encore Ibrahim. Une campagne baptisée «Shared Values» (des valeurs communes), d'un montant de 7,5 millions de dollars, orchestrée par Charlotte Beers, a été lancée. Ex-publicitaire à succès, cette dernière est aujourd'hui sous-secrétaire d'Etat chargée des relations publiques. Elle dispose d'un budget de 15 millions de dollars pour faire passer le message de l'administration Bush dans la région. Le Congrès lui a accordé il y a dix-huit mois une enveloppe de 520 millions de dollars, selon le New York Times, pour concevoir des campagnes à destination des «populations hostiles».

Diffusées notamment en Indonésie, ces publicités, qui vantent la «liberté religieuse» aux Etats-Unis, «terre d'opportunité et d'égalité», et la coexistence des communautés, ne semblent pas toujours avoir atteint pleinement leur but. On y voit notamment Rawia Ismail, enseignante américaine portant le voile islamique en classe, déclarer : «L'islam peut être pratiqué aux Etats-Unis aussi bien que chez moi, dans mon village d'origine.»

«On ne recourt pas à une spécialiste de Madison Avenue [NDLR : où sont situées la plupart des agences de publicité] comme si on allait vendre des chocolats ou une nouvelle marque de produit vaisselle, déplore Youssef Ibrahim. On ne peut pas faire accepter la politique américaine dans la région si l'on recourt à la propagande.»

Cette action est donc naturellement complétée par des spots radio, des encarts dans la presse arabe, ainsi que par la création d'un site Internet (en anglais, indonésien ou français), «opendialogue.org», à l'adresse du monde musulman. Un programme universitaire d'un coût de 25 millions de dollars permettant à de jeunes Arabes de venir étudier aux Etats-Unis est parallèlement pris en charge par l'administration Bush. Question d'image.

Pourtant le Pentagone ne renonce pas à ses méthodes traditionnelles. Il étudierait la possibilité d'appliquer une directive «I. 0.» (Information Operations) ? qui autorise l'armée américaine à mener des opérations de propagande dans certains pays alliés. L'affaiblissement des mosquées et écoles religieuses considérées comme des viviers de l'islamisme et de l'anti-américanisme en Asie, en Europe et au Proche-Orient, l'organisation de manifestations pro-américaines ou la rémunération de journalistes en échange d'articles favorables figureraient en bonne place dans cette note.

Ces actions, trop schématiques, n'ont guère été couronnées de succès. L'an passé, une nouvelle agence du ministère de la Défense, l'Office of Strategic Influence, censée apporter la bonne parole à l'étranger, a fait long feu car Donald Rumsfeld, secrétaire d'Etat à la Défense, a fermé les portes de l'office sur injonction de George Bush. Une entreprise de relations publiques, Rendon Group, sollicitée au lendemain du 11 septembre par le Pentagone au prix forfaitaire de 400 000 dollars pour quatre mois, a également mis la clé sous la porte. Par le passé, cette société avait conseillé la CIA et les gouvernements russe et koweïtien. Sans plus de succès.

Voice of America, émanation du gouvernement américain, a créé un nouveau programme TV hebdomadaire, «Next Chapter», diffusé par satellite en Iran depuis le mois de septembre. Ce talk-show est directement inspiré des émissions de la chaîne musicale MTV et il parle aussi bien du rappeur Eminem que de la crise irakienne.

Radio Sawa («ensemble» en arabe) a été conçue dans le même style. Diffusée au Moyen-Orient, elle s'adresse à un public hostile à la politique américaine mais avide de musique occidentale. Cette station est financée par le gouvernement américain à hauteur de 35 millions de dollars. Elle alterne musique pop arabe et américaine et informations. Mais son auditoire ne prêterait, selon les premières études, guère de crédit aux nouvelles qu'elle diffuse.

Nul doute que cette absence de résultats a conduit l'administration Bush à se tourner vers un cabinet de relations publiques ayant pignon sur rue. La publicité, c'est bien connu, utilise des techniques plus subtiles que la propagande.
(Keren Lentschner, Le Figaro - 28/01/2003)