http://www.liberation.fr/page.php?Article=132904 (lien mort) Par Olivier COSTEMALLE et Raphaël GARRIGOS et Vanessa SCHNEIDER mercredi 27 août 2003 Raffarin rêve de médias policés L'AFP et France Télévisions dans la ligne de mire de Matignon. atignon n'aime pas les journalistes indisciplinés. Et n'hési te pas à le leur faire savoir. Françoise Miquel, directrice du Service d'information du gouvernement (SIG), orga nisme chargé de la communication gouvernementale, a adressé un courrier pour le moins surprenant à Bertrand Eveno, président de l'Agence France-Presse (AFP), pour lui faire part de son «indignation» et de sa «déception» à propos d'une dépêche du 22 août consacrée aux récents déboires politiques de Jean-Pierre Raffarin. Curieusement, la lettre est d'ailleurs datée du 7 août... Stratégique. Le journaliste incriminé, Frédéric Dumoulin, est accrédité à Matignon, dont il suit l'actualité pour l'agence. Un poste stratégique, puisque ses dépêches sont lues par tous les médias français et étrangers abonnés à l'AFP, et souvent reprises telles quelles par la presse régionale. Dans sa lettre à Eveno, dont Libération s'est procuré une copie, Françoise Miquel lui reproche d'avoir utilisé l'expression «vacance du pouvoir» à propos du silence du gouvernement pendant la canicule. Un «membre de phrase» qui, selon elle, «met gravement en cause l'objectivité du commentaire puisqu'elle retranscrit littéralement les propos du premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande». La lettre s'achève par un menaçant : «Je transmets donc ce courrier au Premier ministre.» A mots couverts, Matignon réclame à l'AFP la tête de son journaliste. Frédéric Dumoulin est en effet dans le collimateur du gouvernement depuis de longs mois. Des membres du service de presse de Raffarin, ainsi que son conseiller en communication, Dominique Ambiel, ont téléphoné à plusieurs reprises à ses supérieurs pour se plaindre de son traitement jugé «partial» de l'activité gouvernementale. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique s'attaque à des journalistes de l'AFP. Lors d'un déplacement au Brésil au printemps 2001, Lionel Jospin s'en était pris au prédécesseur de Frédéric Dumoulin à Matignon, Sylvie Maligorne. Mais l'équipe Raffarin, obnubilée par la communication, semble battre des records en matière d'ingérence. «Nous avons l'habitude des pressions, et nous n'en tenons évidemment pas compte, souligne-t-on à l'AFP. Mais c'est la première fois qu'elles s'exercent par écrit. C'est une grosse maladresse. Nous allons répondre à cette dame pour lui dire que nous soutenons notre journaliste, qui n'a commis aucune faute.» Censure. La missive à l'AFP prend place dans toute une série d'interventions des services de Raffarin sur les médias. Il y a un an déjà, des journalistes de Radio France se plaignaient des «pressions» exercées par le Premier ministre via Jean-Marie Cavada, le PDG de la «Maison ronde», une connaissance de longue date de l'ancien président de la région Poitou-Charentes (Libération du 31 octobre 2002). Les chaînes de télévisions sont également surveillées de près par Dominique Ambiel, un ancien producteur de télévision. Et depuis deux semaines, la polémique née de l'attitude du gouvernement face à la canicule a rendu Raffarin et ses proches particulièrement fébriles. Fabrice Turpin, journaliste à France 3, a ainsi déclenché la fureur d'Ambiel pour avoir osé demander au Premier ministre si le gouvernement n'avait pas eu «un retard à l'allumage» dans sa gestion de la crise. Le conseiller a immédiatement appelé Marc Tessier, président de France 2-France 3, pour empêcher la diffusion du reportage, où on voyait le Premier ministre fuir les questions du journaliste. En vain. La menace de démission d'Yves Bruneau, directeur adjoint de la rédaction de France 3, a eu raison de la tentative de censure du gouvernement. Budget. Reste que les velléités de reprise en main politique sont avérées. «Oui, Ambiel m'appelle, reconnaît Olivier Mazerolle, directeur de l'information de France 2. Mais il ne me menace de rien du tout.» Même son de cloche à France 3 : «Ambiel appelle, oui. Il se met en colère, admet un responsable de la rédaction. Il a traité les journalistes de France 3 de "bande d'irresponsables". Mais c'est dans l'exaltation de la colère qu'il menace, on n'en a jamais vu les effets.» Selon le Canard enchaîné, pourtant, Ambiel aurait clairement menacé France Télévisions de revoir son budget à la baisse. Car, dans le cas de l'AFP comme dans celui de France Télévisions, Matignon dispose de moyens de pression sonnants et trébuchants. L'Agence France-Presse, qui vit en grande partie (40 %) des abonnements de l'Etat, est dans une situation financière très difficile, à tel point qu'elle n'a toujours pas réussi à adopter son budget 2003 ! Son président, dont le mandat arrive à échéance en octobre, ne peut espérer être reconduit qu'avec l'assentiment du gouvernement. Le président de France Télévisions est, lui, nommé par le CSA. Mais il est tributaire d'un budget fixé par le pouvoir politique, et tous ses projets de développement sont soumis à l'aval du ministère de la Communication. Les patrons de deux des médias les plus puissants de France se retrouvent ainsi, de fait, en situation de dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. |